Dans ce premier épisode, nous parlerons de la naissance de la musique afro américaine, celle des esclaves noirs travaillant dans les plantations américaines, pour aller jusqu’au blues.

Au sommaire, de la worksongs, du gospel et negrospiritual avec le Golden Gate Quartet et Etta James, du blues avec Robert Johnson, et un morceau bien plus récent, de rap, avec Casey.

Vous pouvez écouter l’émission grâce au lecteur ci-dessous. Bonne écoute!

[audio:http://www.associationdeclic.org/wp-content/uploads/2014/09/En-vers-et-contre-tous-EP1-Briser-les-chaines.mp3|titles=En vers et contre tous – EP1 Briser les chaines]

(A télécharger ici , clic droit puis enregistrer sous.)

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Pour commencer notre histoire, remontons fin XVIème, début XVIIème siècle dans ce que l’on appelle le « Nouveau monde », c’est à dire le continent américain. Les européens, amateurs de nouvelles denrées de luxe comme le café, cacao, le tabac, le coton ou encore le sucre, vont créer un besoin d’augmenter les productions chez les planteurs du sud de l’Amérique (les USA, qui étaient encore à cette époque une colonie anglaise), et des Antilles, dont l’économie est basée sur l’agriculture. Pour cela ils feront venir une main d’oeuvre gratuite, des esclaves donc, du continent africain, et plus particulièrement d’Afrique de l’ouest.

 

Tandis que la société occidentale s’individualise, les africains eux ont profondément cette culture du rapport social et cela se traduit notamment par la participation en toute occasion à des chants de groupes. C’est pour eux un véritable moyen de communication, ils l’utilisent à l’occasion de chasse, de guerre, de naissance, de mariage… Il est composé de chants et de percussions aux rythmes très élaborés. C’est donc tout naturellement que ces esclaves noirs chantèrent la dureté de leur travail au travers des worksongs.

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Ecoute: Early in the morning (http://youtu.be/zsiYfk5RV_Q)

Prison song

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« Early in the morning », que l’on peut traduire par « Tôt le matin », est un chant de prison, enregistré aux Etats-Unis – car il n’y avait évidemment pas d’enregistrement au XVIIème siècle -.

 

En quoi consiste ces worksongs? En fait ce sont des chants que les esclaves pratiquaient pendant leur travail. Elles avaient deux utilités: premièrement, cela permettait aux esclaves de s’exprimer, chose qui leur était habituellement interdite, et deuxièmement, cela leur permettait de supporter la dureté de ce labeur. Cela ne dérangeait pas les planteurs, au contraire, car les esclaves travaillaient plus vite et plus régulièrement en se basant sur le rythme des outils. Certains planteurs pensaient même que, finalement, leurs esclaves étaient heureux, puisqu’ils les entendaient chanter. C’est évidemment tout le contraire, puisqu’il s’agit d’un héritage direct de leur culture africaine où la musique tient une place primordiale. Ils extériorisent par cela leur douleur, leur misère, et Frédérique Douglas, un abolitionniste déclara: « C’est lorsque qu’un esclave est le plus malheureux qu’il chante le plus ».

 

Notons toutefois que la notion de worksong n’est pas née avec l’esclavage américain, elle existait déjà dans la marine (les « chants de marins »), et l’on en aurait même retrouvé des traces en égypte antique, où des hiéroglyphes mentionnent des paysans chantant leur labeur et espérant une meilleure rémunération. Les sujets restent les même: la dureté de la vie quotidienne, l’espoir d’une vie meilleure. Ces espoirs sont pour la plupart placé dans la religion, qui deviendra très rapidement un élément clé de la culture afro-américaine. On la retrouve très rapidement en musique à travers les negro-spirituals et les gospels.

 

Les planteurs vont inculquer aux esclaves – de force – énormément de leur cultures occidentales, et notamment la foi chrétienne. On voit donc très vite apparaître des églises destinées aux esclaves. Ce seront des lieux où ils pourront s’exprimer plus librement, et c’est la qu’émergent ces deux courants, les esclaves y chantant énormément.

La différence entre les deux est simple: le negro-spiritual évoque l’ancien testament, et le gospel le nouveau, c’est à dire la vie de Jésus Christ.

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Ecoute: Golden Gate Quartet – Wade in the water (www.deezer.com/track/79547706)

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Le Golden Gate Quartet est un groupe fondé en 1934, par deux jeunes noir américains, descendants d’esclaves. Ils reprennent ici un chant d’esclave très intéressant par son double sens: il est à la fois religieux, évoquant l’exode des hébreux d’Egypte, libérés par Moise, mais sert également d’instruction aux esclaves cherchant à fuir leur maître en leur disant de passer par l’eau pour pouvoir plus facilement se cacher. « Wade in water, God’s gonna trouble the water » (littéralement « Patauge dans l’eau car Dieu troublera cette eau ») évoque bien l’effacement des pistes, afin de ne pas être poursuivi par les planteurs et leurs chiens. On peut y voir une première forme de résistance, puisqu’à travers la musique et la religion se transmettent des messages les encourageant à fuir.

 

L’un des chemins qu’empruntait ces esclaves du sud pour rejoindre le nord (Canada notamment, mais aussi le nord des Etats-Unis) fut l' »Underground Railroad » (littéralement le « Chemin de fer clandestin »). Ce n’était pas réellement un chemin de fer, il s’agit la d’une métaphore, le train symbolisant la liberté, la fuite, et il existait toute une terminologie propre à cet « Underground Railroad »: les « Agents » étaient les passeurs, les « Stations » étaient les lieux secrets où se retrouver et se reposer, et les « Passagers » ou « Cargaisons » étaient les esclaves en fuite. C’était un chemin évidemment très dangereux, où la capture conduisait à la mort ou la mutilation, et finalement très peu d’esclaves firent le choix de l’emprunter, encore moins arrivèrent à destination. Ils étaient environs mille par an à le suivre et l’on estime un maximum de 100.000 le nombre d’esclaves ayant réussi à fuir. Énormément de morceaux parle de cet « Underground Railroad », comme « Swing low, sweet chariot », d’Etta james.

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Ecoute: Etta James – Swing low, sweet chariot (http://www.deezer.com/track/3984694)

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Pourquoi les esclaves voulaient-ils rejoindre le nord, en particulier le Canada? Et bien au nord, s’organise les premiers courants abolitionnistes. Le premier journal noir, le « Freedom Journal » parait à New York en 1827. Des pionniers religieux et des humanistes intellectuels commençait à s’organiser pour l’abolition de l’esclavage. Ils s’efforçaient d’influencer l’opinion du gouvernement par la propagande, la presse et la littérature. La cause abolitionniste trouva un puissant porte parole à travers William Lloyd Garrison, président de l’American Anti-Slavery Society. Il réclamait une émancipation générale et immédiate par la persuasion morale et la non violence. Il fit alors équipe avec Frédéric Douglas, partisan déjà très actif et symbole de la conscience noir au XVIIIème siècle. Frédéric Douglas est né esclave dans le Maryland et est devenu pour son investissement dans la lutte abolitionniste un véritable emblème de la cause noire. (Retrouvez son ouvrage, « La vie de Frédéric Douglas, esclave américain », qui constitue un véritable classique des témoignages d’esclaves.)

 

Certaines méthodes violentes étaient aussi employées. David Walker, un noir qui avait pu acheter sa liberté avait écrit un appel ardent à la révolte des esclaves: « Tuez, ou soyez tuez. Si vous commencez, allez jusqu’au bout. Ne plaisantez pas avec eux, car il ne plaisanteront pas avec vous. » Quelques esclaves se sont parfois organisés afin de mener des rébellions armées, parfois sanglantes pour les esclavagistes, mais bien souvent les participants étaient retrouvés et pendu, mettant fin à leur révoltes.

 

Ces rebellions étaient rare, mais avec la pensée abolitionniste de plus en plus présente dans les Etats du nord, les Etats du sud paniquèrent et, après l’élection d’Abraham Lincoln, ils se mirent un à un à faire rejeter l’Union. Le 12 avril 1861, la guerre de sécession éclate.

La dureté de cette guerre contraignit Lincoln à accepter les premiers noirs dans l’armée, en 1862, et il proclamait un préliminaire d’émancipation, ce qui donna un sens nouveau au conflit.

 

Plus de 186.000 noirs combattirent et plus de 38.000 y laissèrent leur vie. Ils étaient, de manières générales, moins bien payés, moins bien équipés, moins bien soignés, et surtout voués aux taches les plus pénibles. Les esclaves encore au sud apportaient eux une aide considérable à l’armée nordiste puisqu’ils devenaient des espions, des saboteurs. Cet effort ne fut pas vain puisque le 9 avril 1865, le général Lee (sudiste) capitule, mettant fin à la guerre et à 250 ans d’esclavage. Lincoln signe le 13ème amendement, abolissant l’esclavage sur tout le territoire des Etats Unis, et le 14 avril 1865, il tomba sous les balles, car libérer les esclaves était sûrement la dernière chose que souhaitaient la plupart des américains.

 

Un nouveau mouvement musical apparaît alors dans les états du sud, le Blues. C’est au départ une musique assez simple, un chant accompagné d’une guitare ou d’un banjo et où, autour de 3 accords, le bluesman chante sa misère quotidienne. Il s’agit de la musique des pauvres, souvent des immigrés ou bien des noirs nouvellement affranchis. Robert Johnson est souvent cité comme le pionnier du blues car celui ci l’a énormément popularisé dans l’Etat du Mississippi. C’est en tout cas l’un des premiers dont nous avons des enregistrements. Le terme de blues viendrait des « Blue Devils », ces idées noirs que l’on ruminerait après avoir vendu son âme au diable. En tout cas c’est lui qui le raconte dans « Me and the devil blues ».

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Ecoute: Robert Johnson – Me and the devil blues (www.deezer.com/track/78085319)

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C’est un courant encore très imprégné du quotidien des esclaves et des nouveaux hommes libres. Au final, les Etats du sud après la guerre de sécession ont réintégré l’Union mais ils avaient le droit d’appliquer leurs propres lois comme les restrictions en matière électorale et un système de ségrégation raciale basée sur la très stricte séparation des communautés noires et blanches allait s’imposer sur l’ensemble du territoire des Etats Unis.

Pour résumer, les esclaves se sont vu refuser l’instruction, la terre, et l’exercice de leur droits civiques. Tout cela en étant maintenu constamment à l’extérieur de la société. La plupart des affranchis allait sombrer dans une existence de misère et d’humiliation avec la ségrégation qui détruisait leurs espoirs et leur avenir. Ces conditions humaines ont donné naissance à de nouveaux courants musicaux qui influenceront par la suite toute l’histoire de la musique.

 

On en retrouve encore aujourd’hui de très nombreuses références, et nous vous proposons d’écouter Sac de sucre,  de Casey, sorti en 2010 sur l’album Libérez la bête.

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Ecoute: Casey – Sac de sucre (http://grooveshark.com/s/Sac+De+Sucre/3SVX17?src=5)

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